Vyautas Vargalys est devenu un homme après sa cruelle expérience du goulag. Torturé lors de ce long exil en camp, il en ressortira traumatisé et investi d’une mission sacrée, traquer et démasquer les kanuk’ai qui font de sa vie un enfer. Il erre dès lors à travers une Vilnius sous le joug soviétique, dépeuplée de son âme et carrefour historique de bien des tensions. Il erre également entre les époques et ses souvenirs pour finalement toujours retomber sur ses pieds afin de mieux se perdre à nouveau dans le labyrinthe de sa ville ou celui de sa folie. La seule personne qui lui permette de tenir face à ce portrait bien sombre d’une époque et d’une cité est la belle et ambiguë Lolita.
Il n’y a que ceux qui ont perdu leur âme qui se laissent épouvanter par leurs démons intérieurs. Il n’y a que ceux qui ont perdu leurs repères qui prétendent que leurs entrailles sont magnifiques et pures. Tu ne deviendras véritablement un homme que lorsque tu auras réussi à faire se rejoindre les parois de ton enfer et de ton paradis. Les hommes ont tous les mêmes vertus, alors que le mal est différent en chacun.
Délicat jeu de piste polyphonique qui reflète aussi bien une philosophie que l’histoire d’une ville marquée à jamais par les conflits qui l’ont rongée depuis des décennies, « Vilnius Poker » est un hymne à la liberté et à la littérature aussi bien qu’à l’amour et à l’onirisme. Impossible de résumer une telle œuvre tant elle est dense et inclassable mais l’on peut sans peur évoquer l’univers de Kafka ou de Joyce, la folie de Burroughs ou de Faulkner et l’ambition de Nabokov ou de Pessoa. S’il est des lectures dont on peine à se relever, celle-ci est de celles dont on refuse de se remettre. D’une ambition démesurée, d’une maitrise folle et d’une écriture qui fait l’impasse sur l’inutile, elle emporte le lecteur dans un tumulte de tous les instants, sans lui accorder le moindre répit, elle le saisit à la gorge pour ne plus le lâcher et l’emporter dans ses méandres hypnotiques et délicieux.
