C’est l’histoire d’Ellen Cherry Charles, une jeune fille née à Colonial Pines en Virginie, « un endroit qu’elle a détesté dès sa plus tendre enfance » et qui, pour survivre aux interminables voyages en voiture qui la rendent malade, invente un jeu visuel unique qui la poussera à devenir artiste. Ainsi, dès qu’elle en a l’occasion, la jeune fille déserte son trou paumé du sud pour rallier Seattle et se forger petit à petit un semblant de carrière artistique, partagée entre la peinture et le service dans un café du coin pour subvenir à ses besoins. Elle laisse derrière elle ses parents qui ne comprennent pas vraiment les enjeux qui émanent de ses œuvres, un oncle prédicateur baptiste complètement fou et bigot ainsi qu’un amour de jeunesse connu sous le nom de Boomer Petway. Mais lorsque ce dernier débarque dans la cité de la pluie à bord d’un camping-car qu’il a converti en dinde géante pour la supplier de l’épouser, Ellen Cherry Charles ne réfléchit pas longtemps et accepte la proposition. Voici donc nos deux tourtereaux en route à bord d’un gallinacé métallique roulant à toute vitesse vers New York. En chemin, ils font escale dans une grotte aux abords de l’Utah pour un pique-nique bucolique et coquin. Au sortir de leur partie de jambes en l’air, ils laissent derrière eux une chaussette sale, une cuillère à dessert et une boite de conserve de porc aux haricots. Ces trois objets rencontrent alors un bâton peint et une conque millénaire qui doivent se rendre à Jérusalem pour y entreprendre la construction du troisième temple de la ville sainte.
Il est évident que la liberté brille d’un éclat trop vif pour beaucoup d’entre nous. D’où leur panique lorsqu’un coup de vent soudain soulève le pan de brocart. Clignant des yeux, ils s’agrippent, jusqu’à y casser tous leurs ongles, aux plis protecteurs du contrôle de la société.
Le plus désopilant à la lecture de ce joyeux foutoir reste la cohérence folle qui se dégage de ce récit improbable. Sur fond de conflit millénaire et de Super Bowl, de traditions ancestrales et de pratiques artistiques pour le moins douteuses, Tom Robbins nous offre une épopée mystique, un essai théologique et spirituel bordélique aussi bien qu’un roman initiatique et aventureux incandescent.
Cri d’amour à la belle langue et aux tournures de phrases fantasque, Jambes fluettes, etc. est un livre écrit de main de maitre. Ce récit hilarant, à l’intelligence fine et à la prose jubilatoire, pousse à la réflexion plus loin que n’importe lequel de ses contemporains et s’accorde une liberté sans limite. Un chef d’œuvre.
